inspirations

Si vous pouviez le dire avec des mots, il n'y aurait pas besoin de peindre.

Edward HOPPER



Vous trouverez ici des textes qui m'inspirent ou qui ont été inspirés par mon travail.

L'extraordinaire nous attire un instant ; la simplicité nous retient plus longtemps parce que c'est en elle seule que réside l'essentiel.

Gary WINOGRAND


Quand je peins, je vis. Quand j'expose, j'ai vécu.

Pierre SOULAGES


Il faut respecter le noir. Rien ne le prostitue. Il est agent de l'esprit bien plus que la belle couleur de la palette ou du prisme.

Odilon REDON


La simplicité est la sophistication suprême.

Leonard de VINCI


Dès l’âge de 6 ans, j’ai commencé à dessiner toutes sortes de choses. À cinquante ans, j’avais déjà beaucoup dessiné, mais rien de ce que j’ai fait avant ma soixante-dixième année ne mérite vraiment qu’on en parle. C’est à soixante-treize ans que j’ai commencé à comprendre la véritable forme des animaux, des insectes et des poissons et la nature des plantes et des arbres. En conséquence, à quatre-vingt-six ans, j’aurais pénétré plus avant dans l’essence de l’art. À cent ans, j’aurais atteint un niveau merveilleux, et, à cent dix ans, chaque point et chaque ligne de mes dessins auront leur vie propre.

Katsushika HOKUSAI

POUR TOI OLIVIER

Et si en gravure la main suivait la pensée cachée dans la matière ?

Les estampes d’Olivier sont justement sillons tracés dans le silence du métal.

Et c’est à toi qui regarde ces images de rentrer en intime connivence avec leur créateur.

À la première morsure de l’acide, le cuivre s’ouvre en d’infimes linéaments d’où s’échappera la lumière.

Sous la main du graveur, les creux tracés dans la matière se muent en plénitudes exigeantes. Nous sommes en présence de signes qui font advenir un monde de l’Être. Ce personnage, par exemple, est à la fois annonciateur de ce qui est lorsqu’il nous ancre dans l’immuable et figure de l’éphémère lorsque sa silhouette se fond dans les hachures de la pointe sèche.

Olivier, dans ses estampes, anime le vide en travaillant le plein. Éloge du geste au sein duquel tout se repense.

Quand à cet arbre, n’est-il pas fusionnel avec le végétal observé ? Saisie gourmande de l’instant. Ici, notre ami a su recueillir quelques traces fragmentaires pour en faire le levain d’images métamorphiques.

Chaque création est une mise en scène qui habille des formes.

Olivier est ce magicien qui sait déplacer les lignes de la réalité pour réveiller les puissances nocturnes. Puissances inscrites au tréfonds de chacun et réveillées par une griffure d’acier ou une veine d’encre.

Comme cette gravure, étendue végétale, qui se réincarne en songe quand le taille-doucier abolit la forme. Parfois, Olivier utilise des plaques altérées par la pluie ; alors, la rouille sur le métal dessine des formes aléatoires qui seront ,pour l’artiste, comme un palimpseste naturel sur lequel sa pointe sèche viendra rôder.

Ces œuvres ont-elles pour but de faire échec à la mort ? Je l’ignore. Tout au plus permettent-elles – et c’est déjà beaucoup – de remettre momentanément en cause le fait que la camarde puisse un jour nous séparer.

Jean-Pierre PAIN

DOMMAGE ME DIT-IL.

Dommage ça ne rend pas ce que je voulais obtenir. Il y a des tâches, la plaque a bougé, et voilà.

Dommage, lorsque l’œuvre ne vient pas dire exactement ce que l’œil imaginaire chuchotait du dedans.

Il a préparé une estampe, et pour cela, il a choisi une plaque de zinc. Une vieille plaque, toute usée, mordue sur les bords, une plaque de décharge, de rebut, d’abandon. Il l’a aimée pour cela, pour le fracas qu’elle porte en elle et qu’elle dit mieux que nous avec nos mots limités.
C’est une plaque mordue par la vie et il l’a mordue aussi, avec un peu d’acide, pour lui dire sans doute qu’il va l’accompagner là-dedans, la rejoindre et qu’ensemble, avec toutes leurs morsures assemblées, ça dira l’indicible.
Il a mouillé la feuille, il l’a séchée, assez, pas trop, il doit rester assez d’humide pour que les fibres s’écartent et offrent place à l’ombre du message, le reçoivent pour le renvoyer à leur tour.
Comme un nouveau né sorti de la matrice, il l’a déposée sur un linge, un coton doux et l’y a enveloppée, tendrement, je l’ai vu faire.
Il a encré le métal, il l’a essuyé, assez, pas trop, il doit rester assez de noir pour que puisse s’y agripper le monde enfoui et qu’ainsi il émerge, enfin.

Il a posé la plaque sur la presse béante, offerte.

Et là dessus, il a osé.
Car oui, il faut oser, oser tirer le papier de son enveloppement protecteur et décider que c’est maintenant le moment. Le moment de forcer la tendresse immaculée, la fraîcheur vierge de la feuille, son épiderme de velours. Il faut franchir la zone jamais effractée d’une peau de nouveau né, à peine sortie de l’eau, luisante, éclatante, démunie.
Il ose la saisir, et l’emporter avec grâce vers son baptême d’encre et de métal.

Il la pose, elle aussi, et elle vient voiler la plaque, s’allonger contre elle dans l’élan de confiance insufflé par l’artiste. Il y croit, de leur union naîtra le tiers, une œuvre de parole, un nouveau monde.

C’est le moment. Il couvre l’ensemble d’un autre lange, c’est son nom d’ailleurs, le lange. Chaud comme une couverture, doux comme un drap de laine épaisse qui prend soin, qui apaise.
Oui, c’est le moment, il faut y aller, y passer, franchir l’écrasant passage de la presse qui accouple et transforme, qui offre un message d’encre à la feuille ouverte, qui offre à l’encre un nouveau gîte pour exister.
Pour l’artiste aussi, c’est un moment de passage. Il tourne la roue qui le fera aussi passer d’un moment intérieur à un autre. Chaque tour de manivelle est un temps de chrysalide. Il le sait, sous le lange un mystère est en création, qu’il a désiré et ne maîtrise pas. Il précipite son rêve dans une alchimie. Son creuset glisse lentement sous ses yeux et il doit faire œuvre de patience avant de découvrir si le plomb de la plaque a jeté son or sur la feuille.

À la fin du chemin, il soulève le voile et voici l’instant unique, celui pour lequel tous ces gestes ne furent au fond que des préliminaires. Sous le voile de laine, du blanc, encore. L’épais du papier ne laisse rien passer du message. Il va lui falloir décoller la feuille, enfin, celle qui fut feuille et qui entre temps est devenue une œuvre. Mais encore un instant, elle retient le trésor contre son ventre doux qu’elle était venue appliquer sur la plaque.

Doucement, il la soulève doucement, car elle est encore gracile de l’eau qui l’imprègne. L’œil cherche déjà à happer ce qui se passe là, dessous. L’attraper du regard pour emmener l’image vers le désir qui espère. Est-ce ce que j’attendais dans le fond de mon âme ?

Dommage, me dit-il…
Car il y a parfois des dommages lorsque le voile se soulève, et l’âme penche alors, elle se courbe, ou peut-être se froisse-t-elle, je ne sais pas.
Et puis tout va recommencer, il va tout refaire, tout le chemin, toute la gestation, il va y croire de nouveau. Bien sûr. Sinon, sans la foi, rien n’aurait lieu.

Armelle BRUNOT